- ENTENTES ET CARTELS
- ENTENTES ET CARTELSIl y a entente lorsque deux ou plusieurs entreprises s’associent, par contrat ou sans contrat, dans un but déterminé, pour une opération particulière ou pour une période donnée, tout en conservant leur autonomie juridique. Le cartel est une forme élaborée d’entente, par laquelle les adhérents constituent un organisme commun chargé de la mise en œuvre de l’objectif poursuivi.L’entente est donc une manifestation du comportement des entreprises: elle constitue une pratique collective. Un certain nombre de firmes mettent en commun leurs efforts sur des points précis: diversification de la production, rationalisation des circuits de vente, recherche, information, etc. Chacune d’entre elles profite ainsi de la «surface» des autres. Le changement d’échelle permet, on s’en doute, de faire rapidement de substantielles économies. Ce qu’on appelle «l’effet d’échelle» est en fait la conséquence de l’élargissement des possibilités de la firme – l’entente jouant en quelque sorte le rôle d’un multiplicateur de puissance. Considéré sous l’angle du profit, l’avantage est évident: l’entreprise contractante peut se spécialiser plus facilement, c’est-à-dire en fin de compte produire plus et à moindre coût; elle peut aussi toucher plus rapidement une clientèle plus vaste. Le consommateur devrait pouvoir y trouver son compte si l’entente ne visait pas, comme souvent en fait, à la domination pure et simple d’un marché par un groupe d’entreprises ayant des intérêts communs. En ce cas, la tentation est grande de fermer le marché aux concurrents éventuels qui sont automatiquement en position de moindre force. Les membres de l’entente peuvent alors fixer arbitrairement leurs prix, limiter sans pertes la gamme de leurs produits, favoriser ou non certains clients.Mais il est difficile de faire, dans les intentions qui président à la mise en place d’une entente, la part de ce qui appartient au mobile de rationalisation et de ce qui relève du désir de restreindre la concurrence, autrement dit de séparer les bonnes et les mauvaises ententes. Prenons un exemple: les accords d’information. Il s’agit là d’ententes particulières par lesquelles les entreprises s’engagent à se communiquer des informations sur certaines données qui interviendront dans leurs décisions: prix de vente de leurs produits; volume de leur production, de leurs stocks; nouveaux investissements projetés; produits nouveaux dont le lancement est envisagé; budget affecté à la publicité, etc. Ces informations ne conduisent pas nécessairement à des pratiques restrictives de concurrence, mais elles les rendent possibles. En revanche, des accords d’information qui assurent une meilleure normalisation des produits, une connaissance statistique plus précise de l’évolution du marché ou de l’industrie, une meilleure interprétation des comptabilités des entreprises conduisent à une rationalisation efficace de l’activité considérée.On en vient donc logiquement à poser la question: dans quelle mesure l’entente est-elle une pratique utile ou nuisible? La réponse, en fait, ne peut se fonder que sur des cas particuliers. Pour chaque entente considérée, il convient de faire le bilan des avantages et des inconvénients en tenant compte de tous les points de vue en présence. C’est finalement le rôle de la politique économique que de définir les critères d’intervention qui doivent permettre aux pouvoirs publics de contrôler ententes et cartels au mieux des intérêts du corps social.1. Classification des ententesIl est d’usage de distinguer l’entente horizontale, qui réunit des entreprises d’une même branche industrielle, de l’entente verticale qui peut réunir des entreprises et leurs fournisseurs (s’agissant d’un accord de sous-traitance, par exemple), des producteurs et des distributeurs (s’agissant d’un contrat d’exclusivité), un titulaire de brevet et des détenteurs de licence, etc. On a coutume également de distinguer l’entente expresse, qui a fait l’objet d’un accord écrit, l’entente tacite ou pratique concertée qui s’opère par contacts non institutionnalisés entre les parties, et le parallélisme d’action qui résulte d’un mécanisme d’adhésion de certaines entreprises à certains comportements pratiqués par d’autres entreprises. On peut encore dire qu’une entente est limitée si elle ne vise qu’un des aspects du comportement des entreprises sans affecter l’ensemble de la stratégie des firmes: une entente de prix, une entente de débouchés, une entente d’information sont des ententes partielles. Lorsque l’entente porte sur l’ensemble des éléments de décision des entreprises adhérentes, elle est totale et conduit alors progressivement à la fusion complète des entreprises participantes.On peut également classer les ententes selon la part du marché qu’elles contrôlent: l’entente est partielle lorsque certaines des entreprises d’une même industrie n’ont pas adhéré à l’accord; elle est générale lorsque 100 p. 100 du marché d’un produit est soumis à l’entente. Une entente régionale groupe des entreprises situées dans une même zone d’action géographique; une entente interrégionale réunit des entreprises localisées dans des régions différentes; on distingue de la même façon ententes nationales et ententes internationales, ententes sectorielles et ententes intersectorielles, selon qu’elles rassemblent ou non des entreprises d’un ou plusieurs pays, d’une ou plusieurs branches industrielles.Cependant, le critère de classification des ententes le plus souvent utilisé demeure le but poursuivi par les participants à l’accord. Les ententes de rationalisation associent les entreprises dans le dessein d’obtenir une organisation plus efficace de la production, de l’approvisionnement ou de la distribution chez les membres de l’entente par la coopération, la division du travail, la spécialisation et l’obtention d’économies dues à l’effet d’échelle. Parmi les ententes de rationalisation, les économistes distinguent une forme particulière, l’entente de crise, qui permet à une industrie menacée par la réduction soudaine de la demande d’organiser au mieux des intérêts de la profession l’élimination des moins efficaces parmi les capacités de production excédentaires.La seconde grande famille d’ententes selon le critère du but poursuivi concerne les pratiques collectives tendant à limiter, à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence. Ces pratiques peuvent viser les utilisateurs: elles consistent, par exemple, à fixer en commun des prix, à répartir arbitrairement les marchés entre les adhérents, à s’accorder sur les rabais qui peuvent être consentis aux clients, à s’entendre sur la qualité des produits offerts, à établir d’un commun accord des discriminations entre les différentes catégories de la clientèle. Elles peuvent aussi viser l’organisation de l’industrie: les membres de l’entente s’accordent pour dresser des barrières à l’entrée de nouveaux concurrents sur le marché, limitent les investissements des entreprises adhérentes, retardent l’introduction de nouvelles techniques de production qui risqueraient de rendre obsolètes les équipements existants, fixent des quotas de production et répartissent les produits et les marchés, accaparent les sources d’approvisionnement en matière première et les canaux de distribution de biens transformés, etc.2. Principes de contrôlePris entre le risque d’empêcher la réorganisation d’un secteur en mettant trop l’accent sur le maintien du jeu concurrentiel et celui d’éliminer la concurrence en facilitant exagérément les accords de rationalisation entre les entreprises, le responsable politique a cherché des critères et des modalités d’intervention qui éliminent au maximum les possibilités d’erreur. Dans le choix des principes qui guident la politique de contrôle des ententes, l’autorité va être partagée entre trois conceptions: le maintien d’une concurrence effective, la protection des agents économiques, la stabilité des structures de production et de l’environnement social qu’elles ont contribué à créer. Le premier principe – le maintien d’une concurrence effective – n’est vraiment déterminant que lorsque les circonstances ont fait placer à l’arrière-plan le désir de maintenir la stabilité des structures de production et d’échanges: cela fut le cas au siècle dernier aux États-Unis, où les ententes auraient pu empêcher la constitution d’un grand marché; c’est aujourd’hui le cas en Europe de l’Ouest, où les ententes peuvent avoir pour résultat de reconstituer des barrières privées aux échanges à l’intérieur de la Communauté économique européenne.L’interdiction de principeLe premier système de contrôle part d’une interdiction de principe des ententes et pratiques collectives restrictives de la concurrence. Cette interdiction de principe a été retenue notamment par la politique antitrust des États-Unis (exprimée dans l’article premier de la loi Sherman de 1890); elle concerne les ententes de prix et de répartition, les refus de vente concertés, les ententes sur les conditions de production ou de vente. Aux États-Unis, l’application jurisprudentielle a contribué à délimiter le champ d’action de l’interdiction absolue, ce que l’on appelle habituellement le domaine des règles automatiques, per se. Celles-ci s’appliquent à une première série de pratiques collectives, celles que l’on peut toujours considérer comme nuisibles, celles qui ne peuvent s’expliquer que par le désir des entreprises associées de réduire la concurrence. Les ententes de prix sont interdites depuis l’affaire Madison Oil (1940); mais les ententes d’information qui favorisent une politique concertée en matière de prix n’ont pas toujours été condamnées par les autorités antitrust; enfin le parallélisme d’action en matière de prix n’entraîne pas nécessairement l’interdiction absolue. Les refus de vente concertés sont un autre champ d’application de la règle de l’interdiction absolue aux États-Unis depuis l’affaire Columbia Steel (1948). Mais il est des domaines – le système des points de parité ou les ententes d’information – où l’interdiction ne peut intervenir sans un critère supplémentaire: le degré de contrôle du marché détenu par les entreprises membres de l’entente.Il est des pays où l’interdiction de principe des ententes est accompagnée de mesures d’exemption. Dans ces conditions, une double enquête portant sur les limitations potentielles à la concurrence et sur les résultats de l’entente dans le domaine de la rationalisation est nécessaire. L’interdiction de principe n’est levée que pour les ententes limitées, celles qui ne contrôlent qu’une faible part des marchés considérés. L’existence d’un important «pouvoir de contrôle sur le marché» est suffisante pour que l’interdiction s’applique. Un autre système, adopté en Grande-Bretagne notamment, consiste à fixer de manière limitative la liste des pratiques collectives considérées comme restreignant la concurrence. Ces ententes ainsi strictement définies seront interdites; la Cour des pratiques restrictives n’a pas à apprécier l’influence économique de l’accord, mais à constater simplement l’existence réelle de l’entente. L’exemption de l’interdiction peut également se manifester sous une autre forme: dans la plupart des législations contemporaines, des secteurs entiers de l’économie sont exempts du contrôle de la politique antitrust. C’est le cas notamment pour le secteur public, les transports, le secteur agricole, etc.L’application du système d’interdiction est relativement simple: il n’est pas nécessaire de tenir un registre des ententes, puisqu’elles demeurent interdites; quant aux cas limites, les décisions jurisprudentielles permettent à loisir d’étendre ou de restreindre le champ d’action de l’interdiction. La vertu d’exemple résultant de la publicité faite à chacune des enquêtes jurisprudentielles a deux conséquences: d’abord, les pratiques restrictives collectives interdites – ententes expresses, pratiques concertées, parallélisme d’action, etc. – seront de moins en moins utilisées en affaires; ensuite les entreprises chercheront des formules équivalant à l’entente: elles seront ainsi amenées à des fusions dans le cas où la concentration apparaît comme le meilleur substitut à l’entente.Le système de l’abusUne autre hypothèse s’oppose diamétralement à celle qui fonde le système de l’interdiction en mettant en jeu la notion d’abus. On suppose ici que le but principal des ententes est d’obtenir une rationalisation des conditions de production et d’échange; les ententes ne sont donc pas interdites, mais les autorités peuvent être amenées à intervenir, dès lors que l’on a pu établir l’intention de restreindre la concurrence ou les effets néfastes d’une entente au regard de la concurrence. C’est à un véritable bilan économique des effets de l’entente que les autorités de contrôle doivent se livrer. Pour faciliter leur tâche, l’on peut dans certains cas prévoir la mise en place d’un «registre des ententes et cartels» au vu duquel des décisions tests viennent préciser la définition de l’abus retenue par l’administration économique. La décision ne doit pas se contenter d’apprécier la réalité de l’entente; elle doit analyser la structure du marché, les conditions techniques de la production et de la distribution des biens, le comportement des divers partenaires sur le marché, les «performances» réalisées par les entreprises membres de l’entente. En bref, on examine dans quelle mesure l’entente est conforme à l’intérêt général (notion anglaise du public interest ). C’est ce système que la France connaît depuis le décret du 9 août 1953 qui a modifié les articles 59 bis et ter de l’ordonnance sur les prix du 30 juin 1945. Puis, par décret du 23 novembre 1968, la Commission technique des ententes et positions dominantes recevait la tâche d’appliquer le système de l’abus, ses avis motivés nécessaires à l’engagement de l’action publique contribuant avec la jurisprudence des tribunaux de l’ordre judiciaire à orienter les décisions individuelles des agents économiques. La loi du 9 juillet 1977 venait modifier encore l’ordonnance de 1945 pour créer une Commission de la concurrence aux pouvoirs consultatifs élargis. Enfin l’ordonnance du premier décembre 1986 abrogea l’ordonnance sur les prix et institua un Conseil de la concurrence aux pouvoirs décisionnels importants, soumis au contrôle de la cour d’appel de Paris.Le système de l’interdiction et celui de l’abus finissent par se rencontrer, sinon dans les techniques de contrôle, tout au moins dans leurs objectifs: maintenir une concurrence suffisamment effective sur les marchés. Le premier système définit en fait un certain nombre de pratiques collectives qui échappent à l’interdiction automatique: il s’agit des ententes de réglementation, celles dont l’objet est de réaliser l’uniformisation des méthodes de comptabilité industrielle, de prévoir le rassemblement de statistiques communes, de fixer les usages commerciaux de la profession, d’organiser la standardisation et la normalisation de la production, d’assurer la publicité des marchés ouverts par les services publics, etc. Si ces ententes de réglementation devaient être interdites, toutes les organisations professionnelles, dont le but principal est d’organiser de telles ententes, devraient être dissoutes. Quant au système de l’abus, il tend à se rapprocher du système de l’interdiction en définissant à l’usage des ententes une liste des ententes d’exploitation (ou mauvaises ententes) qui constituent l’abus; ou encore en interdisant des pratiques restrictives spécifiques (qu’elles soient utilisées par des entreprises isolées ou des ententes) dès lors qu’elles supposent chez celui ou ceux qui y recourent un degré élevé de contrôle du marché: c’est ainsi que le refus de vendre a fait l’objet, en France, d’une interdiction de principe (article 37 de l’ordonnance du 30 juin 1945) qui l’assimile à la pratique de prix illicite. Or le refus de vendre individuel peut en effet être la conséquence d’une entente collective horizontale de partage des marchés, qui conduira chaque adhérent à faire des discriminations entre ses clients potentiels pour se conformer à l’accord. Il peut être aussi le résultat d’une entente verticale avec un distributeur exclusif, qui suppose pour une zone donnée la livraison de la totalité des biens demandés par l’intermédiaire de l’acheteur qui a reçu l’exclusivité. Il peut être enfin l’indication d’une pratique concertée dans le domaine des prix, conduisant à imposer aux distributeurs des niveaux de prix et des conditions de revente identiques pour une zone donnée.Dans un système de contrôle qui demeure fondé sur l’abus, une interdiction de principe comme celle qui vise le refus de vendre tend donc à introduire des degrés dans la notion d’abus: certes, les ententes ne sont plus interdites et nulles de plein droit, mais il y a désormais des degrés dans l’abus et certaines des pratiques utilisées par l’entente, dont l’effet nuisible probable sur la concurrence est plus patent, pourront entraîner plus certainement la condamnation de l’entente. Cependant, une différence majeure demeure entre les deux systèmes: le système de l’abus, fondé sur les effets des ententes plutôt que sur les pratiques utilisées, conduit à se désintéresser des accords et ententes dont l’influence sur le marché est insuffisante pour restreindre de manière sensible la concurrence qui peut y régner.3. Évaluation de l’importance des ententesIl est particulièrement malaisé de mesurer à un moment donné l’influence des ententes dans une économie, ou de dire pour une période donnée si cette influence s’est accrue ou a diminué. Les ententes sont en effet généralement mal connues, même dans les économies qui ont institué un «registre des cartels». D’abord, tous les accords tacites, les pratiques concertées, les actions parallèles conscientes échappent à l’analyse quantitative. Quant aux ententes expresses, les éléments les plus restrictifs de la concurrence sont souvent laissés dans l’ombre au moment de la rédaction des contrats; il est d’autre part difficile de dire dans quelle mesure certains accords sont effectivement appliqués.Analyse par secteursDeux procédés demeurent donc pour apprécier l’importance des ententes dans les économies modernes; le premier consiste à examiner secteur par secteur, produit par produit, la conduite des entreprises sur les différents marchés. Certains indicateurs – variations des prix, niveau des capacités de production, orientation et volume des courants d’échange, etc. – permettent de déceler entre certaines entreprises l’existence de comportements qui ne peuvent se maintenir en longue période qu’en raison d’une entente. Mais l’entente n’est facile ni à créer ni à maintenir; la solidarité du groupe de producteurs ne résiste généralement pas très longtemps à l’épreuve de nouvelles conditions objectives de la production et des échanges – à l’apparition d’un nouveau produit par exemple. À une période de stabilité et d’entente succède alors une période de vive concurrence qui voit la fin des anciens accords et le retour à des stratégies individuelles.Pour caractériser une économie où des ententes existent dans certaines industries, les économistes ont proposé de mesurer l’écart entre le profit normal – qui serait atteint si une concurrence effective régnait dans un secteur – et le profit réellement obtenu par les entreprises. Cette somme des écarts devrait permettre de fournir un indicateur du degré de contrôle sur le marché auquel conduit, à un moment donné ou pour une période donnée, la pratique de l’entente. De telles mesures sont théoriques, en raison des difficultés rencontrées pour la détermination du profit normal. Il n’en reste pas moins qu’un classement des industries peut être opéré selon qu’elles sont irréductibles à l’entente, neutres, ou aisément soumises à l’entente. Plus les produits sont homogènes, plus facilement les industries tombent dans la troisième catégorie; plus l’entrée de concurrents étrangers est aisée, plus l’industrie est irréductible à l’entente; plus le progrès technique est rapide, moins les ententes peuvent se maintenir dans le secteur. Plus la structure de la branche est concentrée et le nombre des producteurs réduit, plus les pratiques concertées sont réalisables; mais les chances sont aussi élevées qu’un au moins des adhérents à ces ententes tacites modifie rapidement son comportement et empêche l’entente d’être efficace.Classement par typesUn second procédé, pour évaluer l’importance des ententes, consiste à classer les différentes pratiques rencontrées et à juger de leur influence. Cette méthode «impressionniste» ne peut prétendre effectuer un relevé complet de toutes les pratiques d’entente existant à une époque dans une économie. Dans le Marché commun, l’on a pu ainsi relever les types de cartels ou d’ententes suivants:– des comptoirs d’achat ou de distribution en commun : les plus célèbres sont ceux qui ont fonctionné dans le secteur du charbon, en Allemagne fédérale, en Belgique, et qui donnèrent lieu à de nombreuses interventions de la part des autorités de la Communauté charbon-acier de 1952 à 1967;– des ententes horizontales de prix : ces ententes de prix sont généralement secrètes; il s’agit de pratiques concertées qui ne peuvent être appliquées que dans le cas d’oligopole (petit nombre de vendeurs) et lorsque la concurrence extérieure est faible;– des accords de quota , limitant la production ou la distribution des produits entre les différentes zones; ces accords de quota peuvent être rigides ou comporter des pénalités pour les entreprises qui ont été amenées à dépasser les quotas souscrits;– des accords de partage de marché , limitant pour certaines entreprises l’accès à certaines zones de clientèle, et protégeant ainsi l’aire des marchés des entreprises; on a pu ainsi déceler des ententes de partage de marché dans des industries de produits homogènes tels le ciment, la sidérurgie, les engrais, etc.;– des ententes de distribution exclusive : ces accords permettent à une industrie de déterminer quelle sera sa clientèle et d’exclure les distributeurs qui ne remplissent pas les conditions retenues par les producteurs. Ce type d’accord, qui peut restreindre la concurrence mais aussi assainir la distribution dans une industrie, a été mis en évidence à l’occasion d’une des premières affaires dont la Communauté économique européenne eut à connaître, la «Convention faïence», réunissant les producteurs et les distributeurs de carrelages (1963);– des ententes visant à limiter les investissements : des ententes de ce genre réunissent en Europe dans les secteurs à croissance rapide des industries provisoirement victimes d’un excès de capacité productive; elles prennent souvent la forme d’accords d’information et tendent à s’évanouir dès lors que la demande a absorbé les excédents de capacité. On a pu constater de telles ententes, par exemple, dans les industries des matières chimiques synthétiques. Les cartels de crise, fréquents au Japon, ne se sont guère manifestés en Europe dans l’après-guerre;– des ententes de rabais : ces ententes organisent les rabais de quantité que les industriels consentent à leurs clients; ainsi, les membres de l’entente peuvent tenir compte dans le calcul du rabais des commandes déjà adressées antérieurement à l’ensemble du groupe. De cette façon, on peut obtenir une exclusion de facto des producteurs nouvellement arrivés et non membres de l’entente. La technique de l’entente de rabais a été utilisée dans la Communauté économique européenne par plusieurs industries de grandes entreprises (pneumatiques, engrais) ou de moyennes entreprises (papier peint, linoléum);– des cartels d’ exportation : les ententes concernant les ventes à la grande exportation, c’est-à-dire en dehors du Marché commun, ne sont pas visées par les dispositions du traité de Rome sur les pratiques restrictives, à condition qu’elles n’aient pas de répercussions à l’intérieur du Marché commun. Ces ententes peuvent prendre la forme de comptoirs communs de vente à l’étranger, de services collectifs d’études et de représentation à l’extérieur, etc. Des ententes de ce type se rencontrent aussi bien dans les industries chimiques (engrais) que dans la sidérurgie (tubes), dans certaines activités textiles, etc;– des accords de distribution exclusive : il s’agit là d’ententes bilatérales entre une entreprise productrice et chacun de ses distributeurs. Ces ententes furent les plus nombreuses à faire l’objet d’une «notification», lorsque cette procédure fut retenue par les autorités de la C.E.E. Les accords de distribution visent à rationaliser la distribution des produits dans les pays de la Communauté, en en confiant la distribution exclusive à des entreprises qui vont devoir s’occuper de la promotion des ventes et du service après vente. La Communauté, à la suite de l’affaire Grundig (1965), a décidé de condamner les accords de distribution exclusive qui s’accompagnent d’une interdiction de l’importation parallèle par une entreprise de distribution concurrente: l’entente empêchait les grossistes allemands de vendre à des importateurs français autres que les concessionnaires agréés;– des accords de licence : les ententes entre titulaires de brevets et entreprises cherchant à obtenir des licences d’exploitation de ces brevets sont fréquentes sur la scène internationale. Il peut s’agir tantôt d’accords verticaux bilatéraux, tantôt d’accords réciproques prévoyant des concessions croisées de licence, et traduisant ainsi une véritable organisation horizontale pour les produits ou les processus brevetés. Les ententes de ce type ont fait souvent l’objet de notifications auprès de la Commission de la Communauté économique européenne. Une enquête approfondie est toujours nécessaire pour déceler si de telles ententes sont autonomes ou constituent des éléments d’accords plus généraux;– des ententes de coopération et de rationalisation : elles sont considérées, selon les dispositions du traité de Rome, comme de «bonnes ententes», et peuvent être relevées de l’interdiction générale prévue par l’article 85. Des accords de ce type ne sont pas rares; certains ont fait l’objet d’une autorisation au titre de l’article 85, alinéa 3, du traité de Rome, lorsqu’ils ont été considérés comme suffisamment importants pour tomber sous le coup des dispositions de l’article 85-1. C’est le cas, par exemple, d’un accord de spécialisation entre deux entreprises fabriquant l’une des réveils mécaniques (Allemagne), l’autre des réveils électriques (France). Les accords de rationalisation, de spécialisation et de coopération sont en effet censés préparer une association plus étroite entre les membres de l’entente, sous la forme d’une fusion d’entreprises. Des conditions spéciales ont été prévues par le traité de Rome qui empêche la mise en place de tels accords de coopération lorsque l’ensemble d’une industrie est concerné et qu’il peut en résulter une réduction de la concurrence sur le marché des produits entrant dans l’accord;– des accords de recherche : les ententes portant sur la recherche scientifique et technique constituent une sorte particulière d’accords. Ces accords de coopération se sont développés depuis le début du Marché commun; ils concernent aussi bien de très grandes entreprises des secteurs pétroliers ou chimiques que des entreprises moyennes (industries mécaniques ou électriques). Comme c’est le cas pour les autres accords de coopération, les ententes de recherche peuvent soit être considérées comme étant en dehors du cadre d’application des dispositions légales visant les ententes, soit être relevées de l’interdiction générale des pratiques collectives restrictives. Certaines entreprises européennes, anticipant sur les décisions des autorités communautaires, n’ont pas cru devoir notifier des accords de recherche en commun; d’autres, au contraire, ont averti de l’existence de ces accords. Comme c’est le cas pour les autres accords de coopération, les accords de recherche peuvent donner lieu à un rassemblement des actifs des entreprises en présence, par exemple dans le cadre d’une filiale commune d’exploitation des résultats de la recherche collective.4. Conséquences pratiques: l’exemple européenAprès avoir ainsi passé en revue les différentes catégories d’ententes observées dans le cadre du Marché commun, examinons, à titre d’exemple, le système de contrôle en vigueur dans les pays du Marché commun pour les ententes communautaires. C’est le système de l’interdiction générale qui a été retenu: ententes et pratiques concertées sont interdites et sans effet juridique; mais il s’agit là des ententes restrictives de concurrence, ententes d’exploitation et non de réglementation, lesquelles visent simplement l’organisation de l’industrie sans affecter la concurrence. Le traité de Rome a donné une liste des ententes qui paraissent particulièrement nocives et contraires à l’intégration des marchés: il s’agit des ententes de prix, des quotas de production, des ententes de répartition, des accords d’investissement, des pratiques discriminatoires concertées, des ententes imposant des prestations non nécessaires à l’exécution du marché (ainsi les clauses dites «liées»). Cette liste n’est pas autre chose qu’une suite d’exemples; elle ne laisse pas, comme c’est le cas dans le système anglais, une zone d’ombre permettant aux entreprises de réaliser les différents types d’accords qui n’ont pas été mentionnés expressément par le législateur. Le règlement no 17 du 6 février 1962 a précisé les conditions de l’interdiction en imposant aux entreprises qui participent à un accord de le notifier, soit pour faire déclarer par les autorités que l’interdiction ne leur est pas applicable – par ce que l’on appelle une attestation négative (article 2) –, soit pour se faire relever de l’interdiction au titre de l’article 85, alinéa 3, du traité de Rome.Les exceptionsQuelles ententes pourront être considérées comme ne relevant pas de l’interdiction générale? Il aura fallu attendre près de dix années pour recevoir une réponse sur ce point: il s’agit des «petites ententes», qui n’ont pas d’effets sensibles sur la concurrence, soit de par leur domaine (accords de coopération limités), soit en raison de la faible part du marché contrôlée par l’entente. Le Marché commun laisse par ailleurs aux autorités de chaque pays le soin d’examiner les ententes régionales, qui concernent un marché limité et n’ont pas un effet sensible sur les échanges entre les pays membres.Les bonnes ententes, celles qui sont conformes aux conditions de l’article 85, alinéa 3, peuvent faire l’objet d’une autorisation. Deux types d’autorisations ont été prévues: les exemptions par catégorie et les exemptions individuelles. Par le règlement sur les exemptions par catégorie, la Communauté a voulu relever de l’interdiction, sans que l’autorisation ait à être demandée, les ententes verticales d’exclusivité qui unissent un producteur et un distributeur exclusif, pour peu que certaines conditions soient remplies et notamment que les importateurs parallèles ne soient pas éliminés.En dépit de quelques difficultés d’application – car le règlement d’exemption par catégorie doit être précédé de décisions individuelles à caractère expérimental –, la formule des exemptions par catégorie pourrait être étendue à d’autres types d’ententes, et notamment à certains accords de coopération. Les conditions pour l’obtention d’une autorisation individuelle sont en effet plus sévères. L’article 85, alinéa 3, a prévu les cinq conditions suivantes: que l’accord contribue à améliorer la production ou la distribution des biens; que l’accord conduise à un développement du progrès technique ou économique; que les utilisateurs retirent une partie des avantages obtenus à la suite de l’accord, notamment sous la forme d’une baisse des tarifs ou d’une augmentation de la qualité des produits à prix égal; que l’entente n’impose pas aux utilisateurs des conditions inutilement restrictives; enfin, que la concurrence ne soit pas éliminée ou réduite de manière substantielle sur les marchés considérés.L’autorisation peut être conférée pour une période déterminée et soumise à révision; de cette manière, les autorités communautaires, responsables directement de cet ensemble important d’interventions économiques, peuvent suivre l’évolution des marchés et modeler leurs décisions dans le sens de l’intérêt général communautaire.Évolution des conceptionsL’exemple communautaire fait apparaître clairement le changement survenu dans les conceptions et les mentalités économiques depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pendant longtemps, les gouvernements européens ont favorisé les ententes qui maintenaient des structures de production désuètes, mais assuraient une certaine stabilité aux économies nationales. Dans les périodes de crise, l’entente était même parfois devenue obligatoire. Elle permettait en effet à l’autorité publique de trouver des canaux de transmission efficaces pour ses interventions. L’idée que le maintien de la concurrence par la mise en place de règles de jeu appropriées, et notamment par un contrôle des ententes, est plus efficace que l’intervention directe (aussi bien pour l’allocation des ressources que pour la croissance ou la répartition des revenus) a progressivement gagné les esprits au cours des années soixante. Mais le contrôle des ententes et des cartels n’est pas toujours suffisant. Il conduit souvent, si l’on n’y prend garde, à des comportements de remplacement: la fusion est une entente définitive; de même, absorber ses distributeurs est le remède direct à l’interdiction des conventions de distribution exclusive. Lorsqu’elles sont appliquées par des entreprises oligopolistiques, les pratiques concertées deviennent des éléments d’une stratégie complexe et elles échappent à l’analyse. C’est pourquoi ententes et cartels doivent être désormais considérés dans la perspective de caractéristiques plus générales: les structures de l’industrie, les comportements suivis par les participants au marché, les résultats économiques atteints dans la branche considérée. Entre la formule de L. Ehrard et J. Rueff, pour qui «les ententes n’ont rien de positif parce qu’elles reviennent à garantir une rente aux mauvais patrons» et celle de André Marchal, pour qui les ententes sont un facteur d’intégration, une prise de position intermédiaire s’impose. Comme l’écrivait Raymond Barre avant de devenir vice-président de la Commission de la C.E.E.: «L’objectif de la régulation du pouvoir économique ne doit pas être de le supprimer; il importe seulement qu’il soit limité et contrôlé dans tous les cas où il apparaît nécessaire de sauvegarder ou d’assurer les conditions du progrès économique.»
Encyclopédie Universelle. 2012.